A Limoux, le rugby à XIII vit en marge du Mondial
LE MONDE | 25.09.07 | 15h17 • Mis à jour le 25.09.07 | 15h28
LIMOUX (AUDE) ENVOYÉ SPÉCIAL
Et à Limoux, ville "treiziste" par excellence, qu'en pense-t-on de la Coupe du monde de rugby ? Agent d'assurance place de la République, chasseur de petit gibier à ses heures et président du XIII Limouxin, Guy Sérié se fait volontiers l'écho du sentiment qui anime cette commune de 10 000 habitants située à 20 km au sud de Carcassonne : "Echapper à la Coupe du monde est tout aussi difficile, en ce moment, que d'échapper à Sarkozy, où que l'on soit en France. Il y en a vraiment partout, surtout sur TF1. Mais rassurez-vous : le rugby n'est pas pour autant le sujet de tous les jours, ici sur la place."
RÉFÉRENCES
HISTOIRE.
Le rugby à XIII est né en Angleterre en 1895.
En France, il a connu un coup d'arrêt sous le régime de Vichy, qui l'a interdit alors qu'il prenait le pas sur le rugby à XV, au motif que son "professionnalisme" allait à l'encontre de l'idéal de pureté du sport. Un réel antagonisme entre les deux jeux a perduré.
RÈGLES.
La principale différence entre le rugby à XIII et le rugby à XV est la règle du "tenu" : une fois plaqué ou bloqué, un joueur doit se relever et
talonner le ballon à un coéquipier qui relance une phase de jeu. L'équipe qui attaque a droit à cinq tenus consécutifs, avant de rendre le ballon à l'adversaire.
A l'en croire, certains habitants continueraient même de préférer le XIII alors que le championnat de France élite, auquel Limoux participe, ne reprendra qu'en octobre. Et notre homme de montrer l'écran géant rétractile fixé sur un des murs du club-house : "Nous sommes abonnés à Sky sports, ce qui nous permet de regarder en direct les matches des championnats anglais et australien de rugby à XIII. L'autre jour, à l'heure de France-Irlande sur TF1, on a projeté ici Bradford-Wigan." L'histoire ne dit pas combien d'irréductibles étaient présents ce soir-là, mais la tireuse à bières a semble-t-il bien fonctionné.
Echapper au XIII à Limoux est un exercice compliqué. Si le club n'a pas la renommée du vin effervescent local - la célèbre blanquette -, il fait tout autant partie d'un patrimoine régional trempé, que l'on se transmet de génération en génération. "Ici, on naît "treiziste"", résume Mickaël Murcia, 26 ans, capitaine de l'équipe fanion et fils d'un ancien joueur. Créé en 1951 à une époque où les bastides du Sud-Ouest se déchiraient entre "quinzistes" et "treizistes", le club du pays cathare a été champion de France une fois - en mai 1968 ! - et a fourni un certain nombre de joueurs à l'équipe de France, comme Mickaël Murcia. Employé municipal dans la vie, le garçon n'a aucune honte à reconnaître qu'il suit fidèlement la Coupe du monde organisée par le frère ennemi, et pour cause : "Le XV d'aujourd'hui ressemble de plus en plus au XIII auquel il a beaucoup emprunté. Si je me régale à regarder les All Blacks et des équipes comme les Tonga et les Samoa, voire la France, c'est parce que leur façon de défendre s'apparente à celle que pratiquent les équipes de XIII."
"PAS DANS LA MÊME COUR"
Regarder un événement aussi médiatisé que la Coupe du monde reste toutefois un supplice pour des treizistes français de haut niveau, comme ceux de Limoux. Resté amateur alors que le XV a définitivement basculé dans le professionnalisme, l'"autre" rugby vivote en France où, à l'inverse des pays anglo-saxons, il n'a jamais su se départir de son image de sport régional. "On ne joue pas dans la même cour, en convient aisément l'ancien international Frédéric Teixido, aujourd'hui manager (non salarié) de Limoux et moniteur sportif à la maison d'arrêt de Carcassonne. Quand on voit comment les gens du XV ont structuré leur sport ces dernières années, on ne peut que les envier. Chez nous, les joueurs sont encore amateurs, ils travaillent toute la journée et s'entraînent le soir au prix de sacrifices importants qui ne sont pas récompensés à leur juste valeur. Trouver un emploi aménagé pour un joueur est, par exemple, une vraie galère chez nous. Alors qu'au XV..."
Parents pauvres de l'Ovalie, les treizistes ont toutefois l'impression de pratiquer un rugby plus "authentique", disent-ils, moins porté sur le "business" que celui qu'ils aperçoivent en ce moment à la télévision. Plus viril aussi, quand bien même les bagarres générales qui ont longtemps fait la gloire de la discipline ont quasiment disparu. La dernière à Limoux - "gratinée", d'après des acteurs de l'époque - remonte à cinq ans, face au voisin et rival Lézignan-Corbières, autant dire un bail.
"ON SAIT FAIRE LA FÊTE"
L'autre contrepartie de la situation dans laquelle se trouve le XIII a rapport à la troisième mi-temps. "Au moins, nous, on sait faire la fête, continue Mickaël Murcia. Limoux doit d'ailleurs sa réputation à cela, ce qui nous permet d'attirer des nouveaux joueurs. Entre le carnaval, qui dure trois mois, et les fêtes de village, les occasions de s'amuser ne manquent pas. Rien à voir avec le XV où ils ne boivent que deux bières après le match parce que leur contrat leur impose d'être à l'entraînement le lendemain."
Les bacchanales treizistes sont toutefois un sujet sensible en ville. Guy Sérié reconnaît que l'art de vivre local l'oblige à remplacer chaque année les quatre Australiens (payés 1 800 euros par mois) auquel le règlement lui donne droit : "Le problème, avec les joueurs étrangers, c'est qu'ils s'installent dans un certain confort chez nous et qu'ils deviennent vite coquins." Et Guy Sérié de toucher le bois de son bureau de président : "La saison dernière, je n'ai pas eu à appeler une seule fois les gendarmes." Pourvu que ça dure.
Frédéric Potet
Article paru dans l'édition du 26.09.07.
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-...6-959252,0.html
Mer 26 Sep - 8:29